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LA MORT EST MON MÉTIER

Si ce n’est effectivement pas un secteur dans lequel on s’engage par passion, l’argument financier joue beaucoup. L’institut national d’études démographiques (Ined) prévoit près de 770 000 décès par an vers 2050. De quoi donner des espoirs d’embauche à certains. Karine Patarin, dirigeante de l’agence de pompes funèbres Eurolys est moins optimiste. « Ça fait des années qu’on nous prédit une augmentation significative des décès. Pourtant, il n’en est rien. Et de toute façon, avec le nombre d’entreprises funéraires et de formations qui se développent, il y aura toujours plus de demandes que d’offres d’emplois. » Une plainte très vite expédiée par le conseiller en formation : « Ils seront bien contents d’avoir un conseiller funéraire diplômé. C’est un secteur qui embauche régulièrement. Un stagiaire sur deux est embauché à la suite de nos formations. »

 

Michaël Chatain est conseiller funéraire pour Roc'Eclerc. Seul en agence, il doit gérer les venues et les appels. "Ce métier c'est aussi être secrétaire téléphonique."

 

Photo Alice Hubert

Michaël Chatain, de Roc’Eclerc, s’est tourné vers les pompes funèbres par dépit. « J’ai fait des études de communication et de marketing. C’est beaucoup moins facile de trouver un travail dans ce secteur. Ici, c’est un peu pareil, il faut vendre et organiser. » Anthony est étudiant en master de psychologie. Le temps des weekends, il devient porteur. « Je fais ça en job étudiant. Je remplace les titulaires qui sont en repos les weekends. » Pour ce métier, pas de difficulté, aucune compétence n’est requise, si ce n’est celle de pouvoir porter un cercueil et faire preuve de respect envers le défunt et les personnes endeuillées.

 

Serge Batia, conseiller funéraire et maître de cérémonie aux pompes funèbres générales (PFG), ne fait pas partie (lui non plus), des profils établis par Nova Formation. Il compte néanmoins parmi les nombreux employés qui se sont reconvertis. Après avoir exercé treize ans dans le tourisme, il s’est tourné, depuis 2013, vers le funéraire. « J’en ai parlé avec mes enfants, je leur ai expliqué qu’on ne naissait pas croque-mort. C’est un métier qui s’apprend. » Et il n’est pas le seul à être entré dans le funéraire par hasard. Sonia Fanfani, conseillère funéraire pour Eurolys a elle aussi dû changer de profession. « Après un an d’incapacité à travailler, j’ai été déclarée en situation de handicap pour mon ancien travail. Je devais trouver un métier qui me permettait à la fois d’être assise et debout, sans trop d’effort physique ni de pression. Cherchez bien, il n’y en a pas énormément ! »

La belle idée n’est pas française et date
un peu, soit. Mais tout de même, pour comprendre les rouages et l’organisation d’une agence de pompes funèbres, rien de tel que les cinq saisons de Six Feet Under.
Créée par Alan Ball, la série propose de suivre la famille Fisher dans leur quotidien de croque-morts.

Beaucoup de croque-morts y pensent, lui l’a fait. Guillaume Bailly a recensé les petits couacs ou imprévus qui ont ponctué les cérémonies qu’il a organisées. Rien de mieux pour prendre un peu de distance avec la mort.

SIX PIEDS SOUS TERRE

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D'UN CROQUE MORT

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On les appelle croque-morts et pourtant ce sont bien les vivants qu’ils accompagnent à faire leur deuil. Enquête, à Lyon, auprès de ces agents de pompes funèbres qui vivent quotidiennement la mort.

Dans les pompes funèbres, on distingue quatre métiers différents : le directeur d’agence, le conseiller funéraire, le maître de cérémonie et le porteur/chauffeur/fossoyeur. Si tous côtoient les familles et les proches endeuillés du défunt dont ils sont en charge, les niveau d’études et de formation sont loin d’être les mêmes. Les profils aussi. Mais une chose est sûre, « vous n’entendrez personne vous dire que le funéraire est une passion », affirme Michaël Chatain, conseiller funéraire chez Roc’Eclerc.

 

Nicolas Dautricourt, conseiller en formation chez Nova Formation, organisme spécialisé dans l’apprentissage du funéraire, recense cinq profils qui s’engagent dans les pompes funèbres. « On retrouve d’abord le fils du gérant de pompes funèbres qui se projette dans le métier. Il sait ce que c’est de gérer la mort au quotidien, il reprend l’activité et devient conseiller funéraire ou dirigeant. » La formation est également adaptée « aux salariés qui sont porteur/fossoyeur et qui veulent évoluer vers un métier de conseiller funéraire ». Il suffit pour eux de faire une demande auprès de leur entreprise. Plus étonnant, les personnes qui travaillent dans le secteur paramédical (ambulancier, aide soignant, infirmier) se dirigent aussi vers le secteur funéraire. « Ils ont l’habitude d’accompagner des gens en fin de vie. Ils se posent la question de savoir ce qu’il y a ensuite. » En relation constante avec Pôle emploi, Nova Formation reçoit souvent des candidats, demandeurs d’emploi, qui sont intrigués par le métier de conseiller funéraire. « C’est souvent le cas parce qu’ils ont été en situation de décès récemment. » Pour savoir s’ils peuvent prétendre à exercer ce métier, une mise en situation en entreprise de cinq à dix jours doit être fait au préalable de la formation. Pour les métiers de porteurs, fossoyeurs et chauffeurs, il y a énormément de retraités. C’est ce que confirme Karine Patarin, directrice des pompes funèbres Eurolys : « Ils sont très nombreux à exercer ce métier car ça leur octroie un complément de retraite tous les mois. »

On ne naît pas croque-mort

Sonia ? Toi, dans le funéraire ? C’est pas possible ! 

En annonçant sa nouvelle orientation, la réaction de ses proches a été unanime : « Sonia ? Toi, dans le funéraire ? C’est pas possible ! Tu es une trop bonne vivante pour ça ! » Mais, elle l’assure : « J’arrive à ne pas penser au travail quand je rentre. J’ai été chef d’entreprise auparavant. Je m’endormais en pensant comptabilité. Là, le boulot reste au boulot. » Il en est de même pour Serge Batia : « Ma famille n’a pas tout de suite compris comment je pouvais passer du tourisme à ce secteur ». Rencontré à la sortie du cimetière à la fin d’une cérémonie, il confie : « Honnêtement, c’est impossible de penser au travail à la maison. » Et même si les circonstances sont parfois difficiles, la vie professionnelle n’interfère pas dans le personnel. « J’ai organisé une inhumation particulièrement éprouvante pour un enfant de huit ans. Son grand frère, un peu plus âgé que lui, lui avait jeté un Lego dessus. La pièce a percuté ses voies respiratoires et a entraîné l’asphyxie du petit. À la fin de la cérémonie, je n’avais qu’une envie, rentrer et rejoindre mes enfants. Une fois mis un pied à la maison, tout était oublié et on pouvait passer à autre chose. »


Pour passer outre ces moments pénibles au travail, c’est avant tout une affaire de caractère. Michaël Chatain, conseiller funéraire, est clair sur ce sujet. « Notre travail ce n’est pas de se lamenter avec la famille ni de les réconforter. Nous devons les accompagner, mais dans notre démarche de cérémonie ou de vente de marbrerie. Ça n’impacte pas qui nous sommes. Dans la vie privée, je fais du théâtre et je joue dans des web séries. Un jeu de rôle un peu comme lorsqu’on accueille les familles. » 

Serge Batia est conseiller funéraire et maître de cérémonie pour les pompes funèbres générales. Pour lui, le langage du funéraire est un élément essentiel dans le métier. "On ne dit pas qu'on va incinérer quelqu'un on dit qu'il va être crématisé. L'incinération c'est pour les ordures." 

 

Photo Alice Hubert

Aux PFG, une ligne téléphonique est mise à disposition pour faire face aux cérémonies les plus compliquées. « Un collègue a eu du mal à oublier un enterrement douloureux. Il a appelé le psychologue pour lui en faire part et demander de l’aide. Le spécialiste l’a soutenu et lui a permis d’avancer. Il l’a suivi sur le long terme pour l’accompagner dans la durée et s’assurer que cela n’impactait plus son travail », raconte Serge Batia. De son côté, il confie n’avoir jamais eu besoin de ce coup de téléphone. Un rapport distancé à la mort s’est instauré dans le cadre de son travail. « On travaille avec les familles, on a la « chance » de ne pas voir la mort, elle est déjà là quand les gens arrivent chez nous. Notre travail consiste à accompagner le défunt avec la famille toujours en vie. » Après avoir perdu sa mère, il y a deux ans, Serge Batia est passé de l’autre côté de la barrière. Très vite, il a compris qu’il n’allait pas pouvoir penser ce décès comme ceux qu’il organise. « J’ai compartimenté. J’étais vraiment dans la peine et j’ai totalement fait confiance aux agents de pompes funèbres qui se sont occupés de ma maman. J’étais le fils endeuillé, pas le croque-mort. » Et pour l’inhumation, il n’a pas souhaité « entrer sa maman dans les dossiers en cours », comme lui avait suggéré sa collègue. Il est allé voir une autre entreprise. Pour compartimenter, donc.

 

Étonnement, les écoles funéraires compartimentent elles aussi beaucoup. Les formations sont express : il faut compter une semaine pour devenir porteur/chauffeur/fossoyeur, deux semaines pour maître de cérémonie et trois pour conseiller funéraire. Nicolas Dautricourt, de Nova Formation, l’assure : « Une partie de l’apprentissage se fait au travers d’un stage. » Selon les professions visées, cela représente un jour, une semaine et deux pour conseiller funéraire. Loin d’être suffisant pour Karine Patarin, dirigeante de l’agence Eurolys, avenue Berthelot. « Quand ils sortent de formation, ils ne sont pas prêts. Ils ne se rendent pas compte ce qu’est d’accueillir une famille en deuil. » Sonia Fanfani, son assistante, renchérit : « On apprend ce métier en l’exerçant. Je n’étais pas du tout prête après mes deux semaines, que l’on peut considérer comme un stage d’observation. »

Pas prête non plus à entendre dire : « Bon, combien vous allez nous prendre cette fois-ci ? » Et pourtant c’est aussi ça le quotidien des agents des pompes funèbres. « Neuf fois sur dix les gens vont nous parler d’argent. On est soit des éponges soit des punching ball », confie Serge Batia. Surtout dans les grandes entreprises telles que PFM ou Roc’Eclerc. À Eurolys, par exemple, plus petite entreprise, tout se fait par bouche à oreille. « C’est comme ça qu’on survit face aux grands. Les personnes sont contentes de nos services, alors elles reviennent », explique Karine Patarin. « Les gens sont vulnérables dans des moments pareils et les pompes funèbres pourraient, et ça s’est vu, être malhonnêtes. C’est plus simple de dire « tous les croque-morts sont des voleurs » mais non, ce n’est pas le cas », défend Nicolas Dautricourt. Depuis toujours, cet aspect financier fait de notre relation à la mort un univers complexe. Serge Batia raconte : « J’ai entendu plusieurs fois des gens me dire que les enterrements devraient être gratuits. Ils ne se rendent pas compte que c’est impossible. Il faut payer les gens qui s’occupent des cérémonies, le transport, etc. » Et en effet, impossible sinon pour tous ces agents de gagner leur vie.


Et le malaise français autour de la mort est encore bien profond. Ce sont des entreprises funéraires. Et comme toutes entreprises, des chiffres sont attendus à la fin du mois. C’est d’ailleurs l’objet de prime dans certains groupes, comme en témoigne un employé : « Nous touchons une prime lorsque les personnes qui viennent nous voir pour un service funéraire payent le plus rapidement possible. Ça évite énormément de paperasse et de suivi pour l’entreprise et nous sommes récompensés pour cela. Le mois dernier, j’ai touché plus de 500 € de prime. » Un sujet tabou très palpable. Tout comme la concurrence qui règne dans le secteur. « Le but d’une entreprise c’est de résister. Au salon du funéraire, ils s’entendent tous très bien. Mais en dehors, ils ne s’aiment pas du tout », confie le responsable de formation, présent tous les ans au salon du funéraire. Michael Chatain développe l’une des raisons à cela : « Les gens sont dans une démarche de prospection. Il y a de plus en plus de demandes de devis. Quand ils quittent les locaux, ils traversent et vont faire un devis en face. » En effet, avenue Berthelot, à Lyon, près de six agences se partagent la portion de route entre l’arrêt de tram Route de Vienne et Jet d’eau. De quoi donner quelques sueurs froides aux entreprises funéraires. Et c’est dans ce cadre qu’une forte clause de concurrence est mise en place au sein des contrats de tavail dans les grands groupes. Chez PFG, à la suite d’une fin de contrat, il est impossible de travailler dans une entreprise funéraire se trouvant dans le même département que celui de l’agence que vous venez de quitter, ou dans les départements limitrophes, et cela pendant deux ans. De quoi assurer une opacité entre les méthodes de fonctionnement interne.    

Tous les croque-morts sont des voleurs 

Nouveau cimetière de la Guillotière

Photo Alice Hubert

Nouveau cimetière de la Guillotière

Photo Alice Hubert

Mais, comme le souligne Serge Batia, « nous faisons tous le même métier. Nous nous retrouvons dans les mêmes lieux, avec les mêmes situations. C’est un métier de répétition mais chaque famille est différente. » Si les entreprises ont leur volonté de développement et leur problématique de rendement, les agents eux font avant tout cela pour l’aspect humain du métier. « Le « merci » d’une personne endeuillée à la fin de la cérémonie compte beaucoup plus que celui que je pouvais entendre de la part des touristes qui rentraient de vacances. C’est un métier que l’on ne choisit pas par « plaisir » mais on en devient passionné. » Une vision qui s’oppose donc à celle de Michaël Chatain. Mais ce qui reste le plus significatif, c’est l’envie, pour la grande majorité d’entre eux, de ne pas finir retraité des pompes funèbres. Comme si leurs expériences funéraires n’étaient que parenthèses professionnelles. Fragments de vie au milieu de la mort.

Enquête réalisée
en mars 2016 
par Alice Hubert
© Site réalisé en 2016 par Alice Hubert
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